Jean-Louis Trintignant (1930-2022)


Le 26 février 1972, une photo de Jean-Louis Trintignant est exposée en première de couverture du magazine américain Saturday Review qui le décrit à son lectorat comme: "Le mauvais garçon timide du cinéma français". De la page 33 à la page 39, un entretien mené par Philippe Grumbach - alors directeur de L'Express - dont voici quelques courts extraits, traduits par nos soins, en hommage à cet Homme de l'Art.



Quinze ans après son interprétation du malheureux mari de Brigitte Bardot dans "Et Dieu créa la femme", Jean-Louis Trintignant est devenu l’un des acteurs français les plus remarqués. Parmi les cinquante-deux titres de sa filmographie, de nombreux succès critiques: "Un homme et une femme", "Le conformiste", "Les biches", "Ma nuit chez Maud", et "Z". Trintignant est né il y a 41 ans à Nîmes, dans le sud de la France. Aujourd’hui il vit à Paris avec sa femme, la réalisatrice Nadine Marquand Trintignant, et leur fille de dix ans, Marie. Costa-Gavras, qui l’a dirigé dans "Z", le décrit comme: « La seule vedette qui fait les films qu’elle aime, même si cela peut lui coûter sa carrière ».

 

Philippe Grumbach: Quand avez-vous commencé à vous intéresser au cinéma ? 

Jean-Louis Trintignant: Il y a longtemps, quand j’avais 15 ans. Mais je ne voulais pas devenir acteur, je voulais être réalisateur. C’est pour cela que je suis allé à Paris, pour prendre des cours d’art dramatique afin d’apprendre à diriger les comédiens. J’étais très timide à l’époque. J’ai eu le sentiment qu’apprendre à jouer la comédie pourrait me permettre de surmonter ma timidité. 

P.G: Avez-vous réussi à analyser ce qui se cachait derrière cette timidité ? 

J-L T: C’est vraiment très banal. Je venais du sud de la France, j’avais un très fort accent et ça me paralysait complètement. Lorsque je suis arrivé a Paris j’ai passé des mois sans parler à personne, sans oser ouvrir la bouche. Mais je pense que si vous analysez la timidité, vous pourrez y déceler une forme d’arrogance. Vous êtes timide parce que, en un sens, vous ressentez que vous avez de l'importance, et que les autres le remarquent. Ce qui n’est tout simplement pas le cas. Si j’avais ouvert ma bouche, même si les gens s’étaient mis à rire, ça n’aurait pas été par cruauté. 

P.G: Votre travail vous a-t-il aidé à vaincre votre timidité ? 

J-L T: Oui, car en tant qu’acteur je peux me cacher derrière les personnages que j’interprète. Mais petit à petit j’arrive à faire tomber les masques, et enfin à être moi-même. 

P.G: Pensez-vous que l’on peut être un bon acteur en étant pleinement heureux et satisfait ? 

J-L T: Non, je ne le pense pas. Tout d’abord, un homme pleinement heureux et satisfait n’a aucune raison de vouloir devenir acteur. Les gens heureux peuvent aisément trouver de nombreuses activités bien plus sereines et intéressantes pour s’occuper. Je pense qu’un acteur développe sa sensibilité principalement à travers ses complexes. Évidement il y a plein de gens complexés qui ne sont pas acteurs, mais c’est très certainement parce qu’ils n’en n’ont jamais eu l’occasion. Jouer la comédie est une forme d’art mineure, certainement sa forme la plus insignifiante. Mais ce n’en est pas moins un art s’il est exercé avec dignité. Les acteurs ne sont que des interprètes, des créateurs de seconde main, mais leur travail peut avoir une valeur artistique. En somme, je suis devenu comédien parce que je n’étais pas assez doué pour d’autres formes artistiques. Si j’avais pu jouer d’un instrument de musique, un tant soit peu, ou si j’avais été doué pour le dessin ou la sculpture, j’aurais préféré être un vrai créateur.  

P.G: Quelle est la différence entre le Trintignant « acteur » et le Trintignant « intime » ? 

J-L T: Dans le privé je suis un chic type, je ne saurais pas me conduire autrement. Je pense que ma vie intime n’est pas franchement originale. Je suis une personne assez paresseuse, simple. Mais je cultive ma vie intérieure. J’ai eu une période « érotique », que j’ai expérimentée avec ma femme, car c’est très stimulant pour l’imagination. Après quoi j’ai été dans une autre direction, je me suis essayé à la jalousie - toujours avec ma femme. Mais la jalousie a été très dure pour moi car je n’y croyais pas. Puis j’ai essayé le jeûne. Sans même parler de drogues, car c’est interdit, le jeûne peut avoir des effets identiques à certaines drogues. 

P.G: En Amérique on vous compare à Humphrey Bogart. qu’est-ce que ça vous inspire ? 

J-L T: La première personne qui m’a dit cela est Michèle Morgan. Il y a environ 15 ans j’ai tourné un film avec elle, et elle m’a dit: « C’est fou ce que tu ressembles à Bogart ». Mais je pense que l’on fait la comparaison parce que mes dents du bas sont moches. J’ai appris à sourire en les cachant, n'exposant que les dents du haut. C’est ce qui fait mon côté « Bogart ».


Fiches: L'Atlantide (1961) / L'amour à cheval (1968)

 

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